publié le 14/12/2025 Par Alexandra Buste, Xavier Lalbin
Entre 1800 et 1914, l'Europe a accumulé une richesse colossale grâce à un système économique inégalitaire, fondé sur la domination coloniale, le contrôle des échanges et les transferts financiers forcés. Une étude récente du World Inequality Lab révèle comment les anciennes puissances coloniales européennes ont drainé jusqu'à 40 % du PIB mondial en actifs étrangers à leur apogée, tout en imposant des déficits chroniques aux régions colonisées. Aujourd'hui, alors que l'Asie de l'Est et les pays pétroliers détiennent une part croissante des richesses mondiales, cela reste sans commune mesure avec l'hégémonie européenne d'antan. Pourtant, les inégalités Nord-Sud persistent, héritage d'un système où le développement des uns s'est fait au détriment des autres.
À la veille de la Première Guerre mondiale, l'Europe dominait le monde. Non seulement par sa puissance militaire ou technologique, mais surtout par sa capacité à capter les richesses des autres continents. Entre 1800 et 1914, les grandes puissances coloniales, Royaume-Uni, France, Allemagne et Pays-Bas ont accumulé un patrimoine étranger à un niveau jamais égalé depuis. Ce phénomène n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat d'un système économique délibérément déséquilibré : des échanges inégaux, des transferts financiers forcés, et une exploitation systématique des ressources et de la main-d'œuvre des colonies.
Une étude pour le World Inequality Lab des chercheurs Gastón Nievas et Thomas Piketty de la Paris School of Economics, révèle une mécanique implacable : pendant plus d'un siècle, l'Europe a affiché un surplus dans ses transactions économiques avec le reste du monde, atteignant jusqu'à 4 % de son PIB annuel. Pour alimenter le développement et la puissance manufacturière incontestée de l'époque, le reste du monde voyait s'envoler l'équivalent d'un cinquième de sa production annuelle vers les métropoles coloniales.
Le déficit en commerce de biens était cependant largement modéré par la mainmise des puissances européennes sur les transports maritimes, et plus largement sur l'ensemble des services. Les tributs imposés et les transferts fiscaux massifs depuis les colonies vers l'Europe compensaient largement les déficits résiduels.
Aujourd'hui, si l'Asie de l'Est et les pays exportateurs de pétrole détiennent à leur tour une part croissante des richesses mondiales, elles restent modestes comparées à celle de l'Europe de 1914. Pire, les déséquilibres structurels des échanges internationaux, hérités de la période coloniale, continuent de creuser les écarts de développement. Les modélisations des chercheurs montrent qu'en l'absence de transferts coloniaux et avec des prix plus justes pour les matières premières, des régions comme l'Afrique subsaharienne ou l'Amérique latine auraient pu connaître une trajectoire économique radicalement différente, voire converger vers les niveaux de vie européens.